BRICOLES | ATTACHES | PIVOTS |
OPÉRER | ARRÊTER |
L’ÉVIDENCE TECHNIQUE | UNE PEINTURE LIMITE |
1
2
3
4
5
6
7
8
9
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
S’engager dans l’espace de la géométrie euclidienne ; c’est-à-dire l’espace technique qui permet à tout bricoleur d’anticiper et calculer un chemin vers son ouvrage.
L’espace euclidien est définit comme homogène, il présente les mêmes propriétés dans toutes les directions, tout objet y est quantifiable, normé et substituable. On pourrait qualifier cet espace de prosaïque.
Nombre de mesures sont déduites à partir du corps. On compte en pieds, en pouces, en coudées, en brassées, en enjambées, en pincées depuis des milliers d’années.
Chacun de ces segments servant à comparer et quantifier trouve une limite en s’achevant soit sur un vide soit une articulation ; et chaque articulation, pour pouvoir se plier, ménage à la jonction de ses segments également un vide.
Lorsqu’on rêve au fait que chaque unité de mesure repose sur un espace vide, celles-ci deviennent labiles et moins autoritaires.
Se saisir de ces potentiels de vides et d’interstices à partir desquels pivots, charnières, axes et points de symétrie génèrent des transformations, des variations et des singularités.
Chaque ligne quadrillant l’espace d’une mesure devient alors le lieu potentiel d’un changement, d’une ouverture plutôt que d’une clôture, d’un témoin entre deux évènements hétérogènes.
Retrouver la présence du corps dans les recoins, les plis, la chaire d’une grammaire géométrique.
Dans l’espace du corps, toute direction n’est pas équivalente. L’équilibre est un jeu ténu et précis.
Construire un espace avec et par l’ancrage du corps et la mobilité d’une grammaire spatiale – un élan arbitraire et mobile, mais conséquent, un jeu important.
La technique dans son usage courant a pour chemin une pensée linéaire. Causes et conséquences s’enchainent, intention et effet se succèdent.
Elaborée au profit d’une visée, d’un horizon, la technique tend à écarter tout imprévu. Il s’agit alors d’ouvrir la technique sur autre chose qu’elle-même.
La rigueur technique peut s’ouvrir sur un espace tiers. Non pas en suivant la perfectibilité qu’elle promet, non pas en déléguant à l’accident, mais par la présence et la concentration qu’elle sollicite, par ses limites, son noyau.
Pour couper, il faut que ma lame soit fine et aiguisée. Dans un geste minime s’ouvre alors, en taillant, une relation à la perte.
Couper génère à la fois une perte matérielle et une perte des possibles, relative aux choix des actes.
Par sa finesse, la coupe ouvre en se faisant oublier au profit des parties qu’elle sépare ; elle espace – elle s’espace.
Se servir de cette image de coupe pour élaborer une pensée de la finesse : opératrice de surfaces.
Par cette approche, ces surfaces rencontrent l’instabilité : une adresse ouverte à la contingence, à la réactivité de ce qui l’entoure, air, pesanteurs et forces contraires.
Les effets sont décalés, déviés, dans une forme de retour sur ce qui les a engendrés. De nouvelles articulations, de nouveaux couples – geste-trace, intention-effet – ont lieu.
Dans le geste technique peut s’abolir la continuité entre la cause et l’effet – rupture de notre logique causale, parfois ténue.
À un autre endroit que le point visé, la technique peut s’arrêter.
L’espace de la feuille est normé, son orthogonalité est façonnée pour répondre à l’horizontalité du regard, à la verticalité des corps.
La feuille de papier est, à cet égard et comme tous les outils, un prolongement organisé du corps. C’est un espace déjà instrumentalisé.
La feuille se cantonne alors à sa fonction : accueillir un contenu, un média.
Ses proportions, ses qualités définissent une suite probable, un sens probable, une réponse probable.
Tout comme la fibre du bois oriente le sens de la gouge, tout comme mes phalanges, mon poignet, mon coude et mon épaule ne bougent pas dans n’importe quelle direction et ne se plient pas indifféremment, les limites des matériaux, de mon corps, orientent ma pensée.
Tour à tour : la technique influe et module ma pensée – la pensée informe et consiste mes gestes techniques.
Pensée et geste technique se confirment mutuellement jusqu’à s’ajuster, faire un, avec l’ouvrage.
À l’endroit de ces ajustements : des montages fait d’intervalles ; d’enchainements et de ruptures.
Admettre les clôtures, les limites, l’ arrangement de ce qu’on qualifie de technique. Observer sa procédure, ses rouages et ses agencements.
Puis, se saisir de ces opportunités pour mettre à jour, par certains gestes, les jointures de cet assemblage.
Laisser apparaître alors quelque chose d’autre : une modalité issue de la technique mais qui ne s’explique plus par la technique seule.
Produire une peinture limite, admettant:
a : la précarité de son montage,
b : ses ajustements,
c : ses disjonctions
d : la non concordance entre le faire et le regard,
e : le bric-à-brac de mes pensées,
f : les plis de l’espace…